Voie progressive et voie directe

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Un très bon article de Jacques Bardet que je trouve vraiment intéressant...:
C’est devenu une forme de lieu commun que de vouloir opposer les voies orientales et occidentales .En orient le Maître décrit le but, montre ce à quoi il faut parvenir mais oublie de dire comment y arriver. Il a retiré l’échelle. A l’inverse en occident les apprentis maîtres passent leur temps à détailler les moyens, ils connaissent parfaitement l’historique del’école, mais ils en oublient la fin. Ils peuvent détailler tous les détails des barreaux de l’échelle, écrire des volumes pour approfondir les concepts, ils se perdent sur la voie et leursélèves avec eux.
Comment sortir de ce dilemme ?

N’oublions pas que ce que nous cherchons en aikido, cette simplicité ou détente ou

relâchement, est déjà présent en nous. Elle n’est pas un paradis perdu, celui du bébé qui n’avait aucune faculté de différenciation, elle est notre nature profonde. La conscience cherche la conscience, elle devient consciente d’elle-même.

Toujours revenir au relâchement c’est se situer dans le présent, dans l’ici et maintenant. Imaginons un pratiquant de longue date, ayant une connaissance approfondie de l’historique de l’aïkido, de l’ésotérisme japonais, des textes sacrés, qui vient à un cours donné par un expert et qui s’entend dire, «ta tête est de côté», «ton épaule est trop haute» ou «ton pied avance de travers». Quelle peut être sa déception ! Au lieu d’une révélation profonde sur le sens caché d’une technique le voilà ramené à une futilité. Que faire ? Repartir étudier plus profondément les textes, trouver de nouveaux concepts ? Je ne pense surtout pas qu’il faille mépriser et rejeter toute étude du contexte culturel de l’aïkido mais toujours nous devrons faire face à ce que nous vivons dans l’instant.

Les textes d’examen dan introduisent un découpage des techniques en trois temps, placement, déséquilibre et engagement final. Cette décomposition du mouvement donne l’idée qu’elle peut aider le pratiquant à construire sa technique.
Voici pourquoi je ne suis pas d’accord surtout avec la façon dont cette division est utilisée :

1 - Tout d’abord parce qu’elle rentre en contradiction avec la martialité de l’aikido. Si l’attaquant n’est pas déséquilibré dès le contact il a aussitôt une occasion de redonner un coup. Avec notre vocabulaire nous disons que la prise du centre de l’attaquant est faite dès le début de la technique et non pas dans un deuxième temps.

2 - Si elle devient un mode pédagogique cela signifie que nous donnons à voir, à mettre en évidence (pour les spectateurs mais aussi pour les adversaires) ce qui va se passer. Cela peut combler de satisfaction un public peu regardant qui «comprend» ce qui se passe, la lecture est facile, le méchant se retrouve par terre. Mais rendre lisible par tous la technique rentre en contradiction avec la nécessité que l’adversaire ne puisse pas percevoir ce qui va lui arriver. La recherche du relâchement dès le début de la pratique favorise à contrario de petits déplacements (mouvement plein dans l’espace le plus réduit possible), la simplicité de l’exécution et sa rapidité (qui n’est pas voulue en elle-même). La lecture en devient plus difficile. Il n’y a rien de caché dans la technique mais c’est l’éducation de notre perception qui doit être faite sans céder à la facilité.

3 - Ce découpage de la technique introduit le rôle d’uke, et non pas aïte, qui peut devenir le

compère d’un jeu faussé de mise en forme de la technique. Pour une part seulement de la pratique l’attaquant conduit tori (surtout quand celui-ci est débutant) pour lui faire percevoir la technique dans sa globalité (un temps toujours à la même vitesse). A d’autres moments aïte par une saisie ferme et souple permettra à tori de préciser sa technique : il ne s’agit pas de réussir à passer à tout prix mais de trouver une exécution détendue. Il n’y a pas une mais de multiples façons d’être pour aïte. Tori doit pouvoir trouver sa place, quel que soit le jeu de aïte, comme dans la vie de tous les jours. Nous ne sommes pas dans un show télévisuel où les jeux sont faits à l’avance par une organisation obéissant aux impératifs du marché.

4 - Trop souvent maintenant nous voyons lors des passages de grades ou lors des examens BF des candidats qui au lieu d’une technique reproduisent un éducatif par exemple lorsque l’attaquant vient se placer automatiquement en reprenant ses appuis plusieurs fois. Pour nous, nous dirons que la technique est la même pour le débutant et l’ancien. Seules les difficultés rencontrées diffèrent. C’est justement tout le plaisir de la recherche de faire face, dans une technique apparemment simple, à nos propres erreurs sans passer par un parcours préétabli comme c’était peut-être le cas dans les ryu anciens.

Tout nous est donné dès le début de la pratique, à nous de le saisir, voire de le voler. C’est là à mon avis ce qui fait la puissance de l’aïkido tel qu’il nous est présenté par Maître Tamura, une voie directe.

La répétition des saluts ( en tant qu’apprentissage du corps, du maaï et de l’humilité), des ukemi, les suburi , la préparation d’une façon générale et quelques éducatifs souvent repris sont un moment privilégié pour introduire dans la pratique, en particulier pour le débutant, le relâchement, le sens de la globalité et toutes les fondations (shiseï, kamae, taïsabaki…). Nous sommes déjà au coeur de la pratique.

En résumé il n’y a pas toujours contradiction entre voie directe et voie progressive.
Par Jacques Bardet paru dans Seseragi

Publié dans sakuradojo

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E
Bonjour Steph,merci de nous permettre de lire ces précieuses réflexions d'un monsieur vraiment chouette. Trop "décortiquer" les techniques revient à passer à côté de l'Aikido je crois. Mais si, par notre culture, notre nature, nos choix, nous avons besoin d'aborder le monde par le mental, se brider et le refuser sur les tatamis reviendrait à passer aussi à côté de l'art, car nous ne serions pas nous mêmes...Ne pas gêner l'ici et maintenant par la trop grande approche "mentale" des techniques, se laisser aller et...de toute façon, ce que nous sommes "mentalement" ressortira et l'action enrichira notre "reflexion", mais plus simultanément, pour ne gêner, ni l'une ni l'autre des approches:-) L'action, c'est maintenant, la reflexion, ce sera demain:-) Oups...sais pas si j'ai été  claire, mais bon...Merci en tout cas.A très bientôtEmma
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