Rencontres et armes

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L'une des grandes richesses de notre art est le nombre de rencontres que l'on peut faire au long d'une vie de pratiquant. Il y en a des fugaces, le temps d'un ikkyo, d'un regard sur le tatami, d'une parole échangée ou d'une petite collision en chutant. D'autres plus étendues avec des pratiquants que nous croisons plus souvent, qui deviennent des amis et même parfois une deuxième famille. Il y a ces enseignants aperçus au delà d'une masse verte et que l'on sent lointains et inaccessibles, il y a ceux que l'on croyait comme tel et que nous tutoyons par la suite dégustant un bon vin en se remmémorant moultes anecdotes du temps passé.
Comme professeur, on croise la route de dizaines d'élèves avec qui nous faisons un bout de chemin plus ou moins long, ils suivent vos évolutions et.... vos doutes aussi.  Ceux avec qui on a des atomes crochus et qui inexplicablement arrêtent l'étude et d'autres que l'on pensait désintéressés et qui s'avèrent devenir d'excellents pratiquants dépassant même souvent leur enseignant en termes d'acquis.
Et puis, depuis quelques temps, un nouveau type de rencontre a vu le jour, celles que l'on fait par le biais du net et qui m'a permis par exemple de faire la connaissance de Léo Tamaki, de le voir en "réel" et de découvrir quelqu'un de vraiment génial. Là aussi, les rencontres sont inégales, elles durent parfois le temps d'un commentaire ou s'envolent dans des textes lyriques...
Il y a quelques mois sur le blog de Léo, j'avais laissé un post l'informant de certaines réactions malveillantes suite à son interview avec Tamura Sensei.
A peine avais-je laissé le post que je fus attaque par une certaine Emma qui avait mal interprété mes propos, nous nous sommes expliqués et avons continuer la conversation par mail.
Emma pratique l'Aïkido, pas aussi souvent qu'elle voudrait je pense, elle a étudié avec Toshiro Suga, Jacques Bardet et apprécie grandement Tamura Sensei et Léo. Elle a vraiment la fibre de la littérature (n'hésitez pas à découvrir son blog en lien) et ses textes sur notre art sont vraiment emplis d'une poésie toute particulière. Avec son autorisation..., voici un texte sur les armes dans l'Aïkido que je livre à vos yeux :

Pratiquer l’Aïkido sans les armes reviendrait pour moi à jouer du violoncelle sans archet, à travailler des gammes sans jamais aborder de morceau, à respirer sans jamais lire, à vivre sans jamais écrire…C’est possible, mais inachevé. Une pratique aussi inquiétante que lacunaire qui me fait frémir, rien que d’y songer.
Comme cette vie sans livres que Ray Bradburry décrit dans son célèbre roman « fahrenheit 451 » et dont l’atmosphère étouffante et glaçante est si bien rendue par Truffaut, dans son non moins célèbre film du même nom.
La pratique de l’Aïkido à mains nues m’est donc toujours apparue, et ce dés mes premiers pas aussi hésitants que chancelants sur les tatamis, comme une répétition générale avant la représentation, comme une esquisse, un brouillon…
Nécessaire, mais non une fin en soi, ne puisant sa légitimité qu’en vue de parfaire la pratique armée et elle seule. Les armes en Aïkido donnent tout leur sens à la pratique,
c’est par elles que nous accédons à l’essence même de cet Art Martial aux techniques aussi efficaces que symboliques. Elles nous guident vers le Cœur, nous éclairent sur son âme, polissent la pratique et nous font passer par leur maniement, du discours didactique aux lyrisme. Chaque technique à mains nues trouve un écho parfait dans les armes, à chacune d’elle, peut se glisser l’arme et cette dernière est comme une validation à la première.
Si cela « passe » aux armes, alors c’est un gage de bonne application. Parfois même, une technique un peu obscure prend toute sa souveraineté dés lors qu’elle est appliquée « armée« . Pareils aux tuteurs pour certaines fleurs un peu fragiles, les armes placent notre corps, nous « vertébralisent » dans les techniques. Il est toujours possible de « négocier » le passage d’une technique à mains nues car nous sommes dans un rapport non global avec l’autre, « fusionnel », sans distance ni d’espace, ni de temps avec le corps de l’autre. Ainsi, une certaine « confusion » de sensations peut jouer et nous influencer gestuellement. Parfois, même mal placés, nous nous « contorsionnons » au dernier moment, ce qui fait que même maladroitement, « ça passe ».L’arme ne permet pas cet ajustement, cet aménagement, cette sorte de « tricherie » finalement….
L’intransigeance des armes nous exhorte à aller chercher en nous, parfois même à notre insu, ce que nous avons de plus authentique, de plus profond, de plus sincère, sans fioriture ni concession….
La virtuosité espiègle et agile du Djo nous enseigne la promptitude souple des hanches et sa palette de ballets potentiels…
La Noblesse sans ambages du Ken nous impose une acuité gestuelle autant que psychique et permet de donner tout sons sens à l’ancrage…L’une comme l’autre nous propulsent, de par leur définition, dans un Présent Absolu et sans décors presque inquiétant car très rarement conscient, et dans lui seul, et par la même, à être au plus proche de ce qu‘est notre Humanité…
J’ai beaucoup de difficultés à envisager un Aikido sans les armes. Mais après tout, si chacun y trouve l’Harmonie et le Bonheur, pourquoi pas, bien que cela soit à mon cœur et âme défendant, je dois l’admettre… J’ai toujours été plus à l’aise aux armes qu’à mains nues, et je me suis longtemps demandé pour quelles raisons il en était ainsi.
Cela ne résultait pas d’une démarche « intellectuelle » visant à satisfaire une quelconque curiosité historico-lyrico-afabulatrice au sujet des Samouraîs, ou encore une petite revanche féminisante consistant à décider que oui, j’allais prendre les armes des hommes justement…Le plus honnêtement du Monde, il n’y a rien eu de tout cela, réellement…
Tout m’est toujours apparu plus simple aux armes, plus clair, plus évident. Parfois, certaines techniques que l’on me montrait me semblaient obscures, et leurs desseins, encore bien plus…Dés lors que j’étais « armée », alors tout devenait fluide et lumineux, et l’apprentissage pouvait enfin commencer, j’étais disponible, réceptive, à l’écoute.
Ce langage m’était plus approprié me semblait-il. Je pense aujourd’hui que le maniement des armes en Aîkido rejoint celui de mon stylo quand j’écris et que cette grille de lecture du monde et des autres me sied bien plus et me rassure. Je perçois mieux le Monde du bout de mon stylo, j’y suis plus réceptive, je l’aime mieux et nous nous entendons bien, face face lui et moi, reliés par ce fluide d’encre qui nous fait nous voir dans notre globalité….
Il en va de même pour les armes en aïkido, elles me permettent de mieux appréhender mon partenaire, parce que nous sommes reliés par cette lame de lumière ou de bois, et que nous ne sommes plus dans cette relation ou lui et moi sommes un peu trop « UN »…
Les armes me rendent mon identité dans le Dojo, comme la Littérature la fait naître dans la vie…et ce sont elles qui me rendent la rencontre avec les autres plus fluide, évidente et moins menaçante
...

Publié dans sakuradojo

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R
C'est un très bel article Emma, à bientôt
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E
Bonjour Stéph,merci beaucoup pour l'hommage que tu rends à mon petit texte. Ainsi, je t'avais attaqué??? Grrrrrrrr, quelle erreur dans ma voie:-DDD Je suis désolée, vraiment..."Le temps d'un Ikkyo"...C'est adoable comme expression, vraiment tout plein de poésie et de joliesse...Bonne journée et merci encore pour ton blog et l'attention que tu portes à tous.A très plus:-DEmma
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